Comment traduire ?

Le chinois comme nous l’a enseigné Jacques-André Lavier

Rien n’est plus simple que d’entrer dans une maison quand on en possède la clé. C’est encore plus facile quand on est en possession du code de la sécurité.

Il en est de même pour l’étude des caractères chinois telle qu’enseignée par Jacques-André Lavier.

Non seulement il nous a permis de comprendre comment trouver le sens d’un caractère, mais il nous a aussi appris à retrouver l’étymologie de ces caractères.

Dans toute information, il y a un émetteur et un récepteur.

On distingue également la notion d’indice et celle de signal.

L’indice est une information qui arrive à partir d’un locuteur qui n’a pas l’intention de communiquer. Par exemple, des nuages noirs s’amoncèlent dans le ciel: on pense qu’il va pleuvoir.

Quand aux signaux, il en existe deux catégories: le symbole et le signe.

  • Le symbole est la figuration de ce que l’on veut communiquer. Par exemple, le panneau sur la route pour signaler les virages :  C’est une graphie figurative. En chinois, cela devient un pictogramme.
  • Le signe repose sur une convention. Par exemple, un panneau de feux de signalisation :  le rouge signale un danger, le vert une permission.
  • Le symbole est donc un signal figuratif, le pictogramme.
  • Le signe est un signal conventionnel. En chinois, le signe devient un idéogramme.

L’ensemble de ces signaux fait l’objet d’une science particulière de la sémiologie qui est l’étude de tous les systèmes de communication non verbaux. Les indices débouchent sur la science d’observation puisqu’ils font appel à l’organe de la vue.

Il existe une troisième catégorie d’information: ce sont les signes linguistiques propres à l’homme dans la mesure où ils sont fonction de signes phonétiques, perçus par l’oreille. La linguistique est donc l’étude du langage humain perçu par l’oreille.

La théorie des linguistes est que le concept passe par le langage et arrive ensuite à l’écriture. Il n’y a pas d’écriture sans parole préalable. Cette conception de la linguistique n’est valable que pour les langues indo-européennes.

Le Chinois fonctionne différemment: le concept passe par le langage OU par l’écriture.

Les Pères Jésuites disent: “Le Chinois naît bilingue: il a une parole écrite et un langage parlé”.

J.A. Lavier nous a appris à traduire les caractères de chinois classique. Il nous disait que les caractères simplifiés étaient une sorte de sténographie, qui les détérioraient plus que cela ne leur servait.

Tout comme nous utilisons, comme il nous l’a enseignée, la transcription EFEO (Ecole Française d’Extrême Orient), et non le pin yin qui n’apporte qu’une complication supplémentaire.

De toute façon, nous répétait-il toujours, le chinois se lit plus qu’il ne se parle…

Pour éviter les difficultés après chaque transcription de caractère, je note la transcription pin yin en italique et entre parenthèses: ceci pour s’habituer à voir transcrit le caractère de diverse façon. Exemples: 水 Chwei, (shui), l’eau. 手 Cheou (shou), la main.

Il ne faut jamais perdre de vue que ce qui est important pour nous n’est pas forcément la prononciation, mais le caractère lui-même et ce que représente sa composition pour en trouver l’étymologie.

Tout ceci mis en place, nous allons maintenant voir pratiquement comment s’y prendre pour TRADUIRE.

Le grand dictionnaire dit de 康煕  Kang Hsi, (Kang Xi) de 1716, qui contient 40000 caractères, a mis en place un système permettant de rentrer dans le dictionnaire: la table des radicaux.

Ci-dessous : table des radicaux du petit dictionnaire Ricci :

Ces radicaux sont au nombre de 214, et sont classés par nombre de traits. On les appelle aussi “clés”.

Sur ce tableau, la 1ère colonne verticale de gauche donne le nombre de traits des caractères de la ligne concernée.

La 2ème colonne verticale de gauche donne le numéro des dizaines, celui des unités étant donné par la première ou dernière ligne horizontale.

Par exemple 火 Hwo, (huo), contient 4 traits: c’est le radical 86.

A côté de 火 et dans la même case, vous voyez  灬 4 petites virgules côte à côte, qui sont la représentation de ce caractère dans certains cas où il entre en composition avec d’autres traits, par exemple dans 焦 Tchiao, (jiao) radical 86 (au-dessous) auquel on ajoute 8 traits.

Pour trouver la signification, on va chercher le premier: 火 au radical 86 signifie le feu.

Pour 焦 on va chercher au radical 86 + 8 (traits), cela signifie: calciner, réchauffeur.

Comme toujours avec J.A. Lavier, les choses se résumaient par des schémas synthétiques très explicites :

RADICAUX CHINOIS  SCHÉMA DE RECHERCHE

Face à un caractère chinois la première question à se poser est : est-ce un radical ?

Si oui, on se rend directement à la recherche de signification au numéro du radical.

Sinon, on se pose la question : distingue-t-on un radical dans ce caractère ?

Si oui, on se rend au numéro du radical, additionné du nombre de traits l’accompagnant.

Sinon, on consulte la liste des caractères difficiles qui nous renvoie là aussi au radical concerné.

Dans tous les dictionnaires il existe une liste des caractères difficiles pour nous guider et trouver le radical quand on ne le distingue pas On entre dans cette liste en calculant le nombre total de traits contenus dans le caractère.

Arrivé à ce stade, on a obtenu la traduction du caractère.

Il ne faut pas perdre de vue que le répertoire des radicaux a été dressé du temps de l’écriture au pinceau, donc nous devons tenir compte du parcours du pinceau pour compter les traits :

Ainsi : qui compte un seul trait, est le radical 1, se prononce : Yi, (yi) signifie : un.

丶compte également un seul trait, est le radical 3, se prononce : Tchou, (zhu)  signifie : le  point, un point.

乙  ou 乛  Yi (yi) est le radical 5 que l’on peut trouver sous deux formes s’écrivant au pinceau d’un seul trait, et sont de la même façon répertoriés parmi les caractères comptant un trait.

冖  selon cette logique, va se trouver aux caractères comptant deux traits : c’est le radical 14, qui se prononce : Mi, (mi) et signifie : couvrir. (Le premier trait est la petite virgule en haut à gauche, le second est composé du trait horizontal, et du petit crochet dont on imagine très bien qu’il est le résultat du mouvement que fait le pinceau pour quitter la feuille de papier).

Avant d’entrer dans l’étude étymologique proprement dite, une difficulté supplémentaire se présente aujourd’hui avec la problématique pour se procurer des dictionnaires de L. Wieger, actuellement épuisés. On peut parfois en trouver d’occasion…

Le dictionnaire du Père L. Wieger contient plusieurs parties.

La partie “dictionnaire” à proprement parler commence en fait à la page 781 par la table des radicaux, avec un complément page 784 où il répertorie les formes tassées ou abrégées:

Cette partie du Wieger est, certes, intéressante, mais on a son équivalent, voire mieux, soit avec le dictionnaire classique de la langue Chinoise de Séraphin Couvreur, soit avec les différentes versions des dictionnaires Ricci: le Dictionnaire Français de la langue Chinoise, ou le Dictionnaire Ricci des caractères Chinois en 3 volumes, ou mieux, le Grand Dictionnaire Ricci de la Langue Chinoise en 7 volumes, ou le Ricci numérique actuellement disponible pour smartphones et tablettes numériques à partir de l’application: “pleco”.

Mais le dictionnaire de Wieger est unique pour ce qui concerne les leçons étymologiques.

Même si on retrouve certains caractères anciens cités dans le Ricci numérique (à la rubrique “usages anciens”), ou les Ricci en 3 ou en 7 volumes, manquent les explications données depuis le 說文 Chouo Wen (shuo wen) et soigneusement retranscrites par L. Wieger.

La deuxième partie qui nous intéresse donc en priorité est celle consacrée aux leçons étymologiques.

La clé pour entrer dans ce système se trouve à la page 341, et concerne la table des groupes usuels.
Les caractères y sont répertoriés par nombre de traits, classés de 1 trait à 21 traits et plus.

La plupart du temps, le résultat de notre recherche aboutit aux caractères anciens de petite écriture. Pour rechercher des graphies plus anciennes, il faudra s’adresser à d’autres dictionnaires. Nous étudierons cela ultérieurement.

Il existe cependant dans le dictionnaire de L. Wieger toute une étude sur les graphies antiques, de la page 361 à la page 452. Il nous décrit de nombreux textes essentiellement découverts sur des objets en bronze. Cette partie est également instructive, mais l’étude des caractères n’y est pas systématisée.

Revenons à notre recherche étymologique où nous allons donc chercher au répertoire “Table des groupes usuels” par nombre de traits, à partir de la page 341 du Wieger, pour connaître l’explication étymologique des caractères.

On calcule d’abord le nombre total de traits, et si on ne trouve pas le caractère dans son entier, on le décortique et on recherche les éléments séparément.

Par exemple: 女 Niu, (Nu), 3 traits.

On va chercher dans la table des groupes usuels, la liste des caractères contenant 3 traits  et on descend dans les colonnes jusqu’à trouver 女 Niu :

Le caractère女 Niu est indiqué à la leçon 67A. Ici pas de problème, on n’a rien d’autre à chercher.
On se rend à la leçon 67A que l’on trouve page 169 :

Grâce aux leçons étymologiques, on a obtenu la signification étymologique du caractère.

Il arrive plus souvent que le caractère que l’on étudie soit composé de deux parties, ou même plus. C’est alors une étude “morceau par morceau” que nous allons faire, pour reconstituer le caractère dans son entier.

Ainsi pour deux caractères que nous connaissons bien : 陰 Yin et 陽 Yang.

Ils ont le même radical 170 阜, qui, en composition, devientet auquel on ajoute 8 traits pour 陰 Yin et 9 traits pour 陽 Yang.
On ne trouve pas ces caractères en entier (16 traits pour 陰 Yin et 17 traits pour 陽 Yang).

On recherche d’abord à quelle leçon étymologique est traité le radical 170阜 qui compte 8 traits.

On se reporte à la table des groupes usuels de Wieger, traitant des caractères comptant 8 traits :

Nous obtenons la référence de la leçon: 86A :

Sur internet, un site nous permet, en entrant le caractère chinois, d’avoir une liste de caractères anciens, mais sans explication.
Il s’agit de www.chineseetymology.org

Ainsi pour le radical 170阜 : si on recherche le caractère classique, on obtient un caractère de petite écriture, et une liste de caractères de grande écriture, parmi lesquels on reconnaît les graphies  données par Wieger: ou  

Retournons maintenant chercher dans la table des groupes usuels, dans les caractères comprenant 8 traits pour trouver la partie droite de 陰 Yin :

La partie droite du caractère 陰 Yin est traitée à la leçon 14P :

On va rechercher 昜 La partie droite du caractère 陽 Yang dans la table des groupes usuels, aux caractères comprenant 9 traits :

La partie droite du caractère 陽 Yang se trouve à la leçon 101B :

Sur www.chineseetymology.org

On aura pour , la partie droite du caractère Yang :

 en P.E. et des formes plus anciennes :   en G.E. et même   en écriture archaïque.

J.A. Lavier, nous décrivant cette façon de rechercher les étymologies disait souvent que “ça valait bien des mots croisés”…

Evolution du sens des caractères (J.A.Lavier):

轉注 : Tchwan Tchou (zhuan zhu): Transfert de signification; dérivation : l’un des six procédés de formation des caractères chinois, consistant à étendre le sens d’un caractère ou à donner à un caractère le sens d’un autre caractère, de sens ou de prononciation approchés.

假借 : Tchia Tchié (ou Kia Tsié) (jia jié): faux emprunt. Le caractère est utilisé dans un tout autre sens que celui qu’il avait à l’origine.

Application de cette méthode dans l’étude de la Médecine Traditionnelle Chinoise:

J.A. Lavier nous avait expliqué qu’à l’origine, du temps des 眞人 Tchen Jen (zhen jen), la médecine ne connaissait que le système binaire, le 陰 Yin et le 陽 Yang, 實 Cheu (shi), l’excès et 虛 Hsu (xu) la carence.

On va d’abord voir la traduction de實 Cheu et de 虛 Hsu :

On compte d’abord les traits: 實 Cheu : en tout 14 traits. On regarde les radicaux qui contiennent 14 traits.

實 Cheu est-il un radical ? Non.

Y voit-on un radical ? OUI : 宀 Mien, (mian), 3 traits, radical 40, le toit, la maison

On compte les traits supplémentaires: 11.

On va donc voir dans les dictionnaires à 40+11 et on trouve bien la traduction : plein, remplir.

Maintenant voyons les leçons étymologiques :

On recherche si le caractère 實 Cheu est traité en entier. On regarde dans les 14 traits: rien.

On va regarder quand même dans les 15 traits (il arrive parfois que les caractères ne soient classés dans leur bonne catégorie. Pour éviter de passer à côté, il est bon de contrôler soit les listes de caractères possédant un trait en moins, soit ceux possédant un trait en plus). On le trouve en effet dans les 15 traits, traité à la leçon 153A :

Pour mieux comprendre cette notion de “ligatures dans sa maison”, il faut savoir ce qu’est ce caractère sous le toit: 貝Pei (bei) le cauris (7 traits, radical 154). Wieger nous l’explique à la leçon 161A :

D’où la notion de plein, d’excès.

De la même façon, étudions le caractère 虛 Hsu : au total, on compte les traits: 12 traits (penser au cheminement du pinceau).

On recherche si 虛 Hsu 12 traits est un radical : NON.

Y voit-on un radical ? OUI. 虍 Hou, (hu), 6 traits, radical 141, le tigre.

On va chercher dans les dictionnaires au radical 141+6 et on trouve la traduction: creux, vide.

Maintenant recherchons dans les leçons étymologiques:

On recherche si le caractère est traité en entier et on regarde dans les 12 traits: il se trouve à leçon 27H.


L’interprétation de J.A. Lavier était la suivante:

En haut on voit nettement les rayures du tigre.
Au-dessous: deux hommes dos à dos qui déambulent.
Les hommes ont beau chercher, ils ne trouvent rien à manger. Le tigre a tout dévasté.

D’où la notion de vide.

Nous voyons ici toute la qualité de traduction et d’interprétation des caractères anciens selon l’enseignement de J.A. Lavier.
Cela nous est d’une importance majeure lorsque nous étudions de cette façon les noms des points d’acupuncture.

Martine Lapéronnie-Pierron

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